La gouvernance des données fait souvent l’objet d’un consensus apparent : tout le monde s’accorde sur son importance, mais rares sont les projets qui aboutissent réellement. Derrière les discours bien rodés, les initiatives peinent à produire des effets concrets, faute d’un cadre structurant, d’une vision partagée ou d’un engagement suffisant. Trop souvent réduite à un outil ou à un ensemble de règles, la gouvernance des données est abordée comme un chantier technique, alors qu’elle relève d’un changement organisationnel profond. Elle transforme les usages, redéfinit les rôles, bouscule les habitudes, et remet en question les silos. Pour qu’elle fonctionne, elle doit s’inscrire dans la durée, s’ancrer dans la réalité métier, et s’adapter à la culture de l’entreprise.
Voici cinq erreurs fréquentes qui expliquent pourquoi tant d’initiatives échouent — et surtout, comment les éviter pour libérer le véritable potentiel de vos données.
C’est sans doute l’erreur la plus fréquente et la plus sous-estimée : imaginer que la gouvernance des données peut être réglée en un seul projet, global, structurant, définitif. L’intention est souvent bonne – remettre à plat tous les processus, traiter tous les jeux de données, harmoniser l’ensemble des référentiels –, mais dans la pratique, cela débouche souvent sur un chantier trop complexe, trop long, trop abstrait. À force de vouloir tout résoudre d’un coup, on perd l’adhésion des équipes, on s’épuise à documenter sans produire d’effets visibles, et l’initiative finit par s’essouffler.
À l’inverse, certaines entreprises choisissent l’extrême opposé : elles ne lancent que des actions ponctuelles, souvent techniques (nettoyage de base de données, catalogage, audit qualité), sans cohérence d’ensemble ni pilotage stratégique. Résultat : ces actions restent isolées, sans continuité, sans alignement sur des objectifs métiers. Et surtout, elles donnent l’illusion d’avancer, sans que la gouvernance ne s’installe réellement dans les pratiques de l’entreprise.
La vérité se situe entre ces deux extrêmes. La gouvernance des données ne doit pas être vue comme un projet avec une date de fin, mais comme un programme structurant, évolutif, piloté dans la durée.
Il est plus pertinent de démarrer avec un périmètre limité, comme :
Ce premier périmètre permet de démontrer rapidement de la valeur, d’expérimenter des rôles comme le data owner ou le data steward, d’instaurer des premiers processus (validation, certification, contrôle de qualité), et surtout de commencer à diffuser une culture de la donnée plus partagée.
En procédant ainsi, on crée les bases d’un programme progressif :
Et c’est là un point essentiel : la gouvernance des données n’a de sens que si elle est perçue comme un levier au service de la valeur métier, et non comme une surcharge administrative ou une contrainte IT. Pour y parvenir, il faut structurer sans figer, avancer sans tout formaliser, prioriser sans exclure. En somme, accepter que ce soit un chemin, et non une destination.
La gouvernance des données n’a pas vocation à exister en dehors du cadre stratégique de l’entreprise. Elle n’est pas une fin en soi, ni un exercice de conformité abstrait. Pourtant, il n’est pas rare que des initiatives de gouvernance soient lancées en vase clos, portées par des équipes data ou IT convaincues de leur utilité, mais déconnectées des véritables enjeux métier. Dans ce cas, on définit des règles, on crée des rôles, on déploie des outils… sans jamais interroger leur finalité.
Le résultat est prévisible : les métiers n’adhèrent pas, faute de comprendre ce que cela leur apporte. Les données sont mieux rangées, soit. Mais à quoi cela sert-il s’il faut toujours autant de temps pour produire un reporting ? Si les erreurs clients persistent dans les systèmes ? Si les projets IA peinent à sortir faute de données fiables ?
Une gouvernance utile est une gouvernance connectée à la création de valeur. Elle doit répondre à des attentes précises, lisibles, qui résonnent avec les priorités de l’organisation.
Cela suppose de répondre à quelques questions simples – mais souvent négligées :
Cet alignement est aussi un langage commun à construire entre la stratégie data et la stratégie d’entreprise. La gouvernance des données doit s’inscrire dans une feuille de route plus large, guidée par des ambitions claires : améliorer l’efficacité opérationnelle, renforcer la conformité, faciliter le développement de nouveaux services, soutenir la transition vers une organisation plus data-centric.
Ne pas le faire, c’est courir le risque d’un double échec :
Une gouvernance déconnectée des priorités business ne peut donc ni convaincre, ni durer. À l’inverse, lorsqu’elle est pensée comme un levier stratégique — au service de la performance, de l’innovation ou de la conformité — elle devient un outil puissant pour fédérer, prioriser et agir avec cohérence.
La gouvernance des données ne se heurte pas tant à des problèmes techniques qu’à des blocages culturels. Ce qui fait échouer les projets, ce n’est pas le manque d’outils – c’est le manque d’adhésion. Trop souvent, la gouvernance est perçue comme un sujet obscur réservé à l’IT, un ensemble de règles floues ou de processus rigides, décidés sans concertation et appliqués sans explication. Autrement dit, une contrainte supplémentaire.
Dans ces conditions, les résistances sont inévitables. Les métiers la considèrent comme une surcharge bureaucratique. Les équipes techniques la voient comme un chantier de documentation infini. Et les dirigeants n’en saisissent pas toujours la portée, faute de résultats visibles à court terme.
Pour éviter cet écueil, il faut traiter la gouvernance comme ce qu’elle est réellement : un projet de transformation culturelle, qui modifie en profondeur la façon dont on produit, partage, utilise et valorise la donnée au sein de l’organisation.
Cela implique plusieurs leviers à activer :
Acculturer, ce n’est pas seulement faire comprendre ce qu’est la gouvernance des données. C’est faire ressentir sa valeur ajoutée, dans le quotidien de chacun. Et pour cela, il faut sortir de la logique descendante et adopter une approche beaucoup plus participative. Car une gouvernance réussie, ce n’est pas une gouvernance imposée — c’est une gouvernance appropriée.
On a beau avoir une vision claire, une feuille de route structurée et des outils bien choisis, sans leadership, tout reste au stade de l’intention. La gouvernance des données, pour exister concrètement, a besoin d’un pilote. Pas un simple coordinateur administratif, mais un véritable porteur de sens, capable de faire le lien entre les ambitions stratégiques de l’entreprise, les impératifs métiers et les réalités opérationnelles.
Ce rôle est souvent tenu par un Chief Data Officer (CDO), lorsqu’il est nommé. Encore faut-il qu’il ait la légitimité, les moyens et l’espace pour agir. Car nommer un CDO ne suffit pas : encore faut-il qu’il soit reconnu comme un acteur transverse, capable d’influencer les choix d’architecture, de prioriser les cas d’usage, de faire dialoguer l’IT et les métiers, et d’orchestrer les transformations attendues.
Mais même le meilleur des CDO ne peut pas tout porter seul. Le leadership, c’est aussi une affaire de collectif. Il faut un sponsoring clair de la direction générale, qui envoie un signal fort : la gouvernance des données n’est pas un sujet secondaire, c’est un enjeu stratégique. Et ce soutien ne peut pas être uniquement verbal : il doit se traduire par des budgets, des arbitrages, des relais dans les différentes directions, et une capacité à débloquer les situations complexes.
Un bon leadership en matière de gouvernance des données, c’est :
L’absence de leadership ne crée pas seulement du flou. Elle crée du vide. Et dans ce vide, chacun interprète à sa manière ce qu’est la gouvernance, ses priorités, son utilité – avec à la clé une dispersion des efforts, une perte de temps et une démotivation progressive.
À l’inverse, lorsqu’un leadership est en place, que les rôles sont clairs, que les arbitrages sont assumés et que la gouvernance est défendue avec constance, alors le programme peut s’installer durablement, gagner en maturité, et surtout… produire des résultats.
L’attrait pour les outils est compréhensible. Lorsqu’on parle de gouvernance des données, il est rassurant de se tourner vers des solutions tangibles : catalogues de données, référentiels, plateformes MDM, outils de data lineage… Ces briques technologiques sont précieuses, mais elles ne constituent ni un point de départ, ni une garantie de succès. En réalité, beaucoup de projets échouent parce qu’on a mis en place l’outil… sans avoir clarifié les rôles.
Un catalogue vide, mal renseigné ou non utilisé n’est qu’un trompe-l’œil de gouvernance. Une solution de gestion des référentiels qui n’est pas alimentée par les bonnes personnes, ou sans processus clair de validation, devient rapidement obsolète. Le problème n’est pas l’outil lui-même, mais l’absence de structure humaine pour le faire vivre.
Avant même d’investir dans un outil, il faut répondre à des questions fondamentales :
Ces questions renvoient à une organisation claire et partagée, où chaque rôle est défini, compris, accepté :
Sans cette répartition des responsabilités, aucun outil ne peut fonctionner correctement. Car un outil, aussi puissant soit-il, ne remplace jamais une gouvernance incarnée. Il exécute ce qu’on lui demande, mais il ne décide ni des règles, ni de leur application. Il peut détecter des écarts, mais pas arbitrer. Il peut faciliter la collaboration, mais pas l’organiser.
L’illusion technologique est donc un piège courant. On croit qu’un outil va résoudre les problèmes de gouvernance, alors qu’il ne fait que les rendre visibles. À l’inverse, lorsque les rôles sont clairs, les responsabilités assumées, et les processus bien définis, l’outil devient un accélérateur : il fluidifie, automatise, fiabilise. Mais il ne fait jamais le travail à la place des humains.
La gouvernance des données, lorsqu’elle est bien pensée, n’est pas une couche en plus : c’est une manière plus claire, plus partagée, plus responsable de faire parler les données à tous les niveaux de l’organisation. Elle suppose des choix, des rôles assumés, une progression par étapes et, surtout, une intention continue de faire coïncider l’usage des données avec la réalité du terrain.
Ce n’est donc pas un exercice réservé à quelques spécialistes, ni un simple chantier technique : c’est un levier de transformation qui engage toute l’entreprise. Et pour éviter les pièges décrits ici, il ne s’agit pas tant de viser la perfection que d’accepter d’y aller progressivement, avec méthode, pragmatisme et alignement.
La question à se poser n’est peut-être pas « comment mettre en place la gouvernance des données », mais plutôt : comment faire en sorte qu’elle devienne un réflexe collectif, au service de chaque usage, de chaque décision, de chaque métier ?